 
Les noces d'uranium. 85 ans de mariage. 
Au-delà, il paraît qu'on ne compte plus. La FFE soufflera 
pourtant cette année le 88e anniversaire de son union avec les 
licenciés de l'Hexagone. Une union qui n'a pas été sans nuages, 
puisqu'à deux reprises, en 1928 et en 1962, le divorce a bien 
failli être consommé.
Aujourd'hui, la FFE est une alerte octogénaire, arrivée à sa 
pleine maturité, et le poids des àges n'entrave en rien son dynamisme 
toujours plus grand.
Après plusieurs avortements, dont un en 1914 en raison de la guerre, la
 Fédération Française d'Echecs a vu officiellement le jour le 19 mars
 1921, dans une brasserie parisienne.
Henri Delaire (photo), directeur de la revue " La Stratégie " en
 devient le premier président. Il abandonne cependant vite ses 
fonctions et est remplacé dès 1922 par Fernand Gavarry, ancien 
ministre de la République et directeur des Affaires étrangères. Dès 
sa prise de fonction, le nouveau président lance un appel à tous 
les joueurs d'échecs français. 
" Le but de notre Fédération est de tenter modestement et dans la 
mesure de ses ressources exiguës, de grouper les cercles d'échecs et 
les joueurs isolés, et de créer un organe central pour relier entre 
eux tous les éléments échiquéens de France et de ses colonies. 
Aidez-nous en vous affiliant ! "
Dans la revue de la Fédération Française d'avril 1923, Gaston 
Legrain, le secrétaire administratif, par ailleurs auteur des 
célèbres Cahiers de l'échiquier Français, donne un premier bulletin 
de santé du bébé, avec son style inimitable :
" La FFE vient d'atteindre sa 3e année d'existence. Notre enfant est
 venu au monde un peu souffreteux, parmi l'indifférence générale. 
Nous avons un instant craint pour ses jours. cependant, gràce aux soins
 dévoués dont il a été entouré, le voilà aujourd'hui sain et 
sauf. Il est sorti du maillot, se tient sur ses jambes, élève la voix 
et dit papa très gentiment en tendant les bras vers MM. Delaire et 
Gavarry. Nous comptons sur ses nombreux parents pour lui fournir des 
joyaux en abondance et lui garnir son trousseau. Du reste, les amateurs 
et les cercles s'empressent autour de son berceau et l'alimentent si 
bien de leur cotisation que, sans être comparable à son cousin, 
le gros gaillard anglais, il prend de la chair et commence à 
s'arrondir. "
Mais les efforts de Fernand Gavarry et de Gaston Legrain, associés aux 
efforts de Pierre Vincent qui fonde la FIDE en 1924 à l'occasion 
des Jeux Olympiques de Paris, restent peu couronnés de succès en 
nombre de licenciés. On dénombre une trentaine de clubs officiels pour
 à peine 1.500 membres au total. De plus, le bureau fédéral est 
désespéré par l'incapacité chronique à équilibrer les bilans 
financiers. Un problème récurrent auquel auront à faire face bon
 nombre de présidents.
 Dans le bulletin fédéral de 1928, Pierre vincent lance un dernier appel, aussi inutile que pathétique :
Dans le bulletin fédéral de 1928, Pierre vincent lance un dernier appel, aussi inutile que pathétique :
" Nous sommes à la veille d'interrompre notre effort parce que 
les cotisations ne rentrent pas et nos fonds sont pratiquement 
épuisés. Les cinq dernières années de mendicité perpétuelle nous 
ont profondément lassés. La FFE n'a pas besoin en ce moment d'un 
apôtre. Il lui faut un financier. A qui la main ? " 
Dans la foulée, le bureau démissionne en bloc et " laisse la place à qui la voudra ", persuadé qu'il n'y aura pas de repreneur et que la FFE aurait vécu.
Mais le miracle a lieu. Léon Tauber (photo), directeur de 
plusieurs palaces parisiens et grand mécène, reprend la Fédération 
en mettant quelques centaines de francs sur la table et crée une 
nouvelle équipe dirigeante. En nommant notamment Alekhine, qui venait 
de remporter son championnat du monde contre Capablanca, délégué 
français à la FIDE.
 
En 1932, Tauber, qui aura réalisé l'exploit de réanimer la FFE, passe le flambeau à Pierre Biscay (photo), un industriel qui avait la passion des échecs et qui avait remporté le championnat de France des solutionnistes en 1928.
Pierre Biscay gardera la présidence pendant 23 ans, ce qui fait de lui 
le détenteur du record de longévité à la tête de la 
Fédération. C'est lui qui aura la délicate mission de diriger la FFE 
pendant les années noires de la 2e guerre mondiale et de l'occupation.
En novembre 1944, la revue de la Fédération paraît à nouveau. "
 Notre bulletin sort enfin du silence qui lui était imposé et 
réapparaît au grand soleil de la France libérée par l'héroïsme de 
notre jeunesse et la puissance de nos alliés ", écrit Pierre Biscay. "
 Tenue depuis quatre ans à une quasi-clandestinité, la FFE a 
cependant établi des fondations solides. Sans autorisation, des 
animateurs ont créé des cercles dans des conditions souvent difficiles
 : effectif sans cesse réduit par les déportations, activité 
interdite par l'ennemi, matériel détruit par les bombardements. 
Bravant les interdictions, le comité a publié des communications qui, 
certes, ne pouvaient prétendre remplacer une revue mais qui ont 
maintenu un lien entre tous nos membres. Mais l'action obscure de ces 
dernières années va s'épanouir en une floraison de cercles prospères
 de jeunes joueurs de valeur. Avec l'appui des ligues, la Fédération, 
dont le bureau s'est rénové, coordonnera cette activité, encouragera 
les initiatives et réalisera le programme vaste et hardi qu'il s'est 
tracé ".
Mais cette belle déclaration ne restera qu'un voeu pieu. Dans les 
années cinquante, le nombre de licenciés stagne à 2.000, au 
même point que 25 ans en arrière. Le championnat de France reste la 
seule compétition officielle organisée par la Fédération. Et mis 
à part Alekhine et Tartakover accueillis par la France, la FFE n'a
 toujours pas réussi à former son élite mondiale.
A la suite des 23 années de présidence de 
Pierre Biscay, la Fédération va connaître une période d'instabilité
 : de 1955 à 1962, quatre présidents se succéderont.
Lorsque Paul Garet démissionne en 1962, la FFE subit sa 2e crise, après celle de 1928, qui faillit bien lui être fatale.  " Les premiers présidents de la Fédération furent tous Parisiens ", raconte Jacques Lambert, lui-même président de 1976 à 1987. "
 C'est là que se tenait le peu de prestige attaché aux échecs, 
et surtout là qu'on trouvait les mécènes capables de boucher les
 trous financiers. Mais en 1962, la situation était si désastreuse 
qu'aucun Parisien ne se proposa. Pour la seconde fois, la FFE était 
à genoux. Et les Parisiens élirent un provincial, le docteur 
Augeix, afin de laisser à cette province méprisée la 
responsabilité de la catastrophe ".
Mais un second miracle se produisit après celui de 1929. Pierre Augeix,
 qui était médecin de la SNCF et avait de fait la gratuité des 
transports, prit son bàton de pèlerin pour aller porter la bonne 
parole dans les ligues, et réussit à fédérer la province. Pour 
la première fois, le siège fédéral quitte la capitale pour 
s'installer à Laon.
Au bout de 7 ans, Augeix se retire. Il avait été dans les faits, 
président, secrétaire et trésorier. Il laisse une fédération riche 
de 9.000 membres et dotée d'une direction des jeunes et d'un premier 
classement national (l'indice de valeur de performance).
Après un intermède d'à peine une année de Fernand Supper, c'est
 Raoul Bertolo, le fondateur d'Europe-échecs, qui accède à la 
présidence en 1970.
Il organise les Olympiades de Nice de 1974. Superbe réussite sur le 
plan technique, mais très lourd déficit financier. Le bureau fédéral
 en sort laminé et Raoul Bertolo démissionne peu après.
Jacques Lambert passe alors de la direction des jeunes, qu'il occupait 
depuis 1969, à la présidence qu'il va garder 11 ans. A son actif,
 il peut s'enorgueillir d'avoir doté la Fédération d'un ensemble de 
structures administratives et de règlements, et surtout d'avoir réussi
 à faire sortir des bistrots la majorité des clubs. Mais en 1987,
 sa majorité le làche et il décide de ne finalement pas se 
représenter.
 
Depuis lors, sous la houlette de Raoul Bertolo, revenu pour deux ans à sa tête, puis surtout Jean-Claude Loubatière (photo),
 la FFE poursuit son ascension. Ses joueurs, ses arbitres, ses 
compétitions la situent aux premiers rangs, et ses structures sont 
désormais les plus complètes du monde. Au grand regret de tous, 
Jean-Claude Loubatière, qui restera, de l'avis général, celui qui, 
pour l'instant, aura le plus apporté à la FFE sur le plan 
technique, disparaît en 2004. Jean-Claude Moingt lui succède en 2005, 
après deux courts intérims assurés par Georges Beck et Jean Bertrand.
Le premier mandat du clichois marquera un tournant dans l'histoire des 
présidents de la FFE. Le siège fédéral revient sur Paris après 44 
années d'exil en province, et en 2008, le Comité directeur officialie 
la profesionnalisation de la fonction de président en le salariant.
" Aujourd'hui, on ne peut plus être président de la FFE et avoir une activité professionnelle à côté ", explique Jean-Claude Moingt, un jeune quadra dynamique (...).